Du plus loin que je me souvienne, les rapports ont toujours été très conflictuels dans ma famille. Mes parents ont toujours pris la moindre de nos rébellions adolescentes comme un affront personnel, une menace à éradiquer. Nous étions deux et pourtant nous ne formions qu'un, alors bien sûr ils se sentaient en position d'infériorité. C'est sûrement pour ça qu'au lycée, ils nous envoyèrent Noah et moi dans deux établissements différents : lui dans l'un des privés les plus sélectifs de Washington, et moi dans un privé catholique pour filles très réputé. Mais on ne change pas une équipe qui gagne et nous avions beau être séparé, jamais personne n'a réussi à nous diviser : il parait que c'est ça, la force des vrais jumeaux.
Ce soir-là, une dispute venait encore de sévir au dîner. Comme d'habitude elle opposait mon père à Noah. C'était devenu une chose fréquente depuis qu'on avait 15 ou 16 ans. De son air le plus méprisable, il manifestait à quel point il était déçu de son fils et à quel point il estimait qu'il était un bon à rien. Je savais que même s'il ne le montrait pas cela blessait Noah. Pourtant ce soir-là marqua la rupture. En y pensant bien, j'aurais du m'en douter car après manger, mon frère vint toquer à ma chambre et me rejoindre en sautant comme un dingue sur mon lit alors que je m'appliquais à appliquer un vernis incolore. Ce gars est un crétin. « Je peux te parler ? » - « C'est pas ce que t'es entrain de faire ? » répliquai-je concentrée mais un petit sourire au bord des lèvres. « Je veux dire... te parler genre sérieusement sans que tu sois plus intéressé par ton vernis que par moi. » Je soupirais et terminer mon dernier ongle et me tournai vers lui en m'affalant sur mon lit. « C'est à propos de la dispute de ce soir ? » Il acquiesça mais n'ajouta pas un mot. Je le fixais un moment mais il fuyait mon regard. Il hésitait. Je sentais que quelque chose n'allait pas. Lorsqu'enfin il se décida à prendre la parole, sa voix rauque et déterminée me fit l'effet d'une bombe. « J'vais partir Jazz, j'en peux plus. Je sais que j'l'ai déjà dis mais là je vais vraiment le faire. Je veux pas être comme lui, j'en ai marre qu'il fonde en moi tous les espoirs de sa foutue banque alors qu'il me rabâche à longueur de temps que je suis pas assez bien pour être son fils ! » En effet ce n'était pas la première fois qu'il me disait qu'il voulait partir, mais cette fois je sentais que c'était différent. « Attends tu vas pas partir et me laisser je -- » - « Viens avec moi ! La Nouvelle-Orléans, ça te rappelle pas ce film qu'on avait vu ? » J'étais abasourdie, comme si ma vie se dérobait sous mes mains sans que j'en puisse retenir le fil qui chutait dans le vide. « Noah j'peux pas, je... j'sais pas, merde ! Comment tu peux me dire ça, comme ça, aujourd'hui et à cette heure-là ? Tu vas PAS partir d'accord ? Réfléchis, c'est papa. Je sais qu'il peut être hyper dur et qu'il est chiant et tout ce que tu veux ! Mais t'as pensé à maman ? » - « Maman sera toujours de l'avis de papa, tu le sais aussi bien que moi. » Il essuya une larme qui coulait le long de ma joue et replaça ses boucles brunes d'un mouvement de la tête. « Tu sais pas ce que tu dis Noah, réfléchis... » Il se leva et acquiesça. Je voyais pourtant dans ses yeux que l'issue était toute choisie. mais j'espèrerais le retenir assez longtemps pour trouver une alternative. Je le serrais dans mes bras et lui souhaitait bonne nuit puis il retourna se coucher.


Je me réveillais le lendemain pour aller en cours lorsque je trouvais une lettre sur ma table de nuit. Je pris ma douche, m'habillai puis me décidai enfin à la lire en allant prendre mon petit-déjeuner. Je faillis m'écrouler dans les escaliers lorsque je vis qu'elle était de Noah. Qu'il m'annonçait qu'il partait. Qu'il m'aimait, qu'il regrettait, qu'il penserait à moi. A ce moment là, je crois que je n'ai jamais autant haï quelqu'un pour m'avoir laissé tombé. En plus de quoi à la suite de sa signature en lettres cursives légèrement penchées, je devinais qu'une larme avait coulé car le papier était légèrement gondolé. Cet idiot avait pleuré ! Il avait chialé sur une lettre d'adieu et s'était barré je ne sais où ! J'en eu l'appétit coupé devant mon bol de céréales et déchirai la lettre avec force, les larmes me montant au yeux pour jeter les résidus de papier à la poubelle. J'attrapais mon sac, incapable de coordonner mes mouvements et filais à l'université. C'était un mauvais rêve, tout irait mieux.
Mais le soir même quand je rentrais, après une journée qui méritait la palme du jour le plus affreux, j'entendis mes parents se disputer et mon père hurler. J'entrais dans le salon, pleine de rancoeur envers mon paternel après qu'il ait fait fuir Noah. Tout était de sa faute en fait. « Il... il est parti chérie... » m'avoua ma mère entre deux souffles saccadés et entrecoupés de larmes. Mon regard livide trahissait bien que je l'avais su bien avant eux. Les yeux rougis d'une journée de pleurs, je détournais le regard vers mon père qui s'énerva encore une fois. « Et bah bon débarras ! Monsieur se barre à la première difficulté, j'ai toujours su qu'il n'était qu'un bon à rien ! Qu'il ne remette plus les pieds ici ce petit merdeux ! » La gorge nouée, le coeur serré je foudroyais mon père du regard et fulminais : « Tu ne parles pas de lui comme ça. » J'étais encore calme mais ma mâchoire était crispée. « Et personne ne parlera plus de lui, c'est bien entendu ? Je ne veux plus en entendre parler ! » Mon père me défiait, du moins j'en avais l'impression. Je me retenais mais bientôt mes mots dépassèrent ma pensée et j'explosais : « C'est de ta faute tout ça, de ta faute, ta faute, TA FAUTE ! Il est parti, t'es content ?! T'es vraiment un père horrible, je te le pardonnerais jamais, je -- » J'avais encore un flot de mots à déverser mais mon père s'approcha rapidement à la vitesse de l'éclair et m'en colla radicalement une. Ce qui eu pour effet, bien évidemment, de me faire taire. Ma main sur ma joue endolorie, je fixais son regard noir, incrédule. Le silence était revenu, ma mère ne disait pas non plus un mot. « Il avait raison... tu fais rien ! » Et je grimpais jusqu'à ma chambre de laquelle je ne descendis pas de la soirée.


Dans ma chambre, je tournais en rond. Puis finalement, autour de 2h du matin, j'attrapais les deux valises sous mon lit et les remplissais de vêtements, d'objets que j'aimais bien et de babioles. Je pris mes albums photos, tout ce qui avait trait à être garder et à rentrer dans mes valises et les refermait rapidement. J'étais presque aveuglée par la colère. Un peu plus tard, certaine que tout le monde dormait, je fis plusieurs allers-retours dans le plus grand silence entre le garage et ma chambre. Je n'avais pas dormi de la nuit mais j'attrapais les clefs de la Range Rover que Noah avait laissé. Il avait dû partir en train et ma Mini était carrément trop petite pour un tel voyage ! Au volant de la voiture je bifurquais jusqu'à la sortie de Washington, direction la Nouvelle-Orléans. J'en avais fini avec cette famille de dingue. Noah avait raison depuis le début.
Je roulais pendant toute la nuit et toute la journée suivante pour arriver en Louisiane aux environs de 22h le lendemain. J'avais fais deux heures de pause pour manger un bout et me reposer quelques minutes mais pas plus, je n'étais pas en confiance. J'arrivais donc au beau milieu d'une ville inconnue après une journée entière de route. Exténuée, fatiguée, limite je voyais des papillons qui flottaient autour de moi, tu vois ? Mais j'y étais. Et à force de coups de téléphone ouais c'est pas bien de téléphoner en conduisant, mais la fin justifie les moyens je me garais dans la rue de l'hôtel où était supposé se trouver mon frère depuis trois jours. Lorsque la porte de la chambre s'ouvrit, il était là à me fixer d'un air d'hurluberlu, surpris mais un large sourire aux lèvres. Il allait s'élancer pour me prendre dans ses bras mais je l'arrêtais de suite. Dans un mélange d'excitation, de fatigue et de surmenage je laissais les mots défiler : « Tu sais combien y'a de kilomètres entre Washington et la Nouvelle-Orléans, hein, dis moi ? 1.500. Y'a 1.500km pauvre idiot et j'ai conduis jusqu'ici sans m'arrêter pour toi, ok !? Tu sais ce que c'est un téléphone ? C'est un boîte magique qui fait que tu peux parler aux gens, leur dire que t'es en vie quand tu te barres à l'autre bout du pays en laissant qu'une pauvre lettre derrière toi ! Tu m'as laissé toute seule, je te déteste tu m'entends, je te déteste ! A croire que toutes ces promesses des années passées, t'en avais rien à cirer. » J'aurais encore pu parler trois heures s'il ne m'avait pas coupé en passant ses doigts contre la trace rouge de la main de mon père. Il y était pas allé mollo ! Je baissais le regard et il compris instantanément ce qui m'avait pousser à venir le rejoindre plutôt que d'engager un détective privé qui l'aurait ramené à la maison par la peau des fesses - parce que j'en aurais clairement été capable. « Me refais plus jamais ça. » Il acquiesça et me serra très fort contre lui, tellement que je cru que plus jamais je ne verrais le jour. « Tu m'as terriblement manqué. » chuchota-t-il, mais je m'étais déjà endormie en deux temps trois mouvements, incertaine mais heureuse et me sentant à nouveau entière.


Noah et moi avons emménagé dans un joli pavillon dans le sud-ouest de la ville, un quartie chic et branché, assez jeune et vraiment beau. Tout nous semblait si simple, en même temps faut dire qu'avec le parcimonie et le niveau financier de la famille, on avait clairement pas de soucis à se faire ! J'avais poursuivi mes études d'architecture en m'inscrivant à Tulane University, l'une des meilleures université du sud de l'Amérique. Avec mon caractère bien trempé mais enjoué, j'ai rapidement su me constituer un grand groupe d'amis. Je regrettais un peu Washington et mon ancienne maison durant les premiers temps mais rapidement je m'habituai et je pris le pli de la vie... à la nouvelle-orléanaise ! Jusqu'au jour où je reçus le retour d'un chèque que j'avais libellé à l'ordre de l'université et une lettre accolée qui me disait qu'il avait été refusé. What. The. Fuck ? J'appelais finalement ma banque qui m'appris que mon père avait obtenu du juge, après des mois de bataille, qu'il puisse faire clôturer nos comptes. Le paternel qui coupe les vivres de ses enfants après les avoir fait fuir à l'autre bout du pays, c'est pas une belle image ça ? N'empêche qu'avec un loyer, des charges d'étude et des factures à payer, on risquait vite de revenir sur nos pas pour avoir à quémander notre retour dans nos anciennes chambres à Washington. Heureusement on ne se laissa pas abattre. Chacun de nous pris un petit travail à côté des études et j'appelais même mes grands-parents pour qu'il nous aide financièrement. Chose qu'ils firent puisqu'ils nous promirent de nous payer l'intégralité de nos études, de quoi avoir un poids un moins sur les épaules, déjà. Reste que je bosse comme professeur de danse pour des petites ballerines de 3 à 11 ans passionnées par ce sport. Un sport qui ma passionne tout autant puisque j'ai pratiqué, entre autres sports, la danse pendant près de quinze ans ! Du coup je m'y connais un peu et ça me permet de lier travail et plaisir histoire de mettre du beurre dans les épinards pâtes (a), ou du Nutella sur les gaufres, comme vous préférez. D'ailleurs je crois que j'ai toujours aimé la danse. Quand je me souviens bien, je me souviens encore dire à ma mère « Plus tard je veux être danseuse. » et elle de me répondre « Tu seras la plus belle des danseuses alors ! » Puis mon père qui feuilletait le cours de la bourse dans son journal du matin me regardait par dessus ses lunettes d'un air sévère et rajoutait : « Danseuse, c'est bien un rêve de gamine ça... Tu verras quand tu seras plus grande, tu comprendras. » Et bien tu sais quoi papa ? La gamine, elle irait bien au bout de ses rêves pour une fois. Moi qui ai toujours été décrite comme une fille indépendante et forte tête, j'ai l'impression qu'au fil des années, ton négationnisme a eu raison de mon ambition dans ce domaine artistique. Mais il n'est jamais trop tard quand on a l'envie et le talent. Mais en attendant, moi je dois rejoindre des amis pour déjeuner ce midi... et j'irais bien réveiller Noah en mettant Barbie Girl à fond dans sa chambre. Je vais filmer le truc et je vous l'envoie sur Twitter si j'suis toujours vivante d'ici là... Amicalement.