« Euh... tu vas où ? » J'arquais un sourcil, l'air blasé et mon téléphone entre les mains. « En ville chef, j'ai un truc à régler. Un problème Sherlock ? » Je m'enfonce dans le canapé et envoie finalement le message. Je suis pratiquement sûre que Conrad dort encore, faut voir l'état dans lequel on était hier soir, surtout lui d'ailleurs. Mais au vue de l'heure, sortir monsieur de sa tanière me semble assez drôle. Je reporte enfin mon attention sur mon frère. « Et ton coloc il va s'installer tout seul peut-être ? Attends pars pas ! KENNEDY, reviens tout de suite ou je... » Il enfile sa veste et attrape les clefs de sa voiture en direction du garage. « T'inquiète il est cool, et essaye de pas lui faire peur ok ? » Y'a vraiment des fois, il me dépasse.

Après avoir parlé avec Conrad par messages, je pose mon téléphone sur la table basse et m'étire dans tous les sens : mission rangement. Je fais quelques tractions dans l'espoir de me motiver puis regarde autour de moi, c'est pas gagné. Je commence à retaper un peu le canapé, remettre quelques bibelots en place et ranger les affaires qui traînent. Je débarrasse la table du déjeuner et fiche tout ça en vrac dans le lave-vaisselle. Histoire de cacher la misère, je ferme simplement la porte de ma chambre puis celle de Noah. Enfin je redescends au rez-de-chaussée et ouvre la grande baie vitrée du salon qui donne sur le patio. Je vous jure, s'il fallait pas faire bonne impression pour le colocataire je me serais pas donné tant de mal ! D'ailleurs, j'en suis toujours à me demander qui est ce futur habitant. Noah et moi étions d'accord pour prendre un colocataire pour alléger un peu les charges de loyer et remplir l'espace de cette grande maison. J'avais en tête de passer quelques entretiens, comme dans les films. Mais il avait apparemment trouvé un gars sympa, intéressé par la colocation et qui de surcroit était jeune. Un pote, je crois. Ouais, un mec ! J'ai fais la gueule un bon moment avant de céder et d'accepter. Déjà qu'à nous deux, Noah et moi on fait des dégâts, mais à deux mecs contre une fille, j'en pleurerais presque. Que personne ne compte sur moi pour jouer les conchita, vu ? Bon, aujourd'hui c'est exceptionnel, c'est juste pour faire bonne impression. Y'a prescription.

L'heure défilait et à quelques secondes près de l'heure du rendez-vous, j'entendis la sonnerie retentir dans l'entrée. Sacrément ponctuel ! Je lâche ma tasse de café dans l'évier et file jusqu'à la porte. Je m'arrête devant le grand miroir de l'entrée à la volée et me recoiffe un peu, pinçant mes jours pour me donner un teint un peu plus pimpant. On aurait du mal à croire que la veille, j'avais plusieurs verres de trop dans le nez et peu d'heures de sommeil à mon compteur. Je soufflai un grand coup et arborai mon plus large sourire chaleureux et accueillant et ouvris la porte. « Bonjou... » Mon sourire retomba en quelques secondes. « Conrad ? » Je m'appuyai sur la tranche de la porte et remarquai sa voiture garée dans l'allée. « Qu'est-ce que tu fiches là, je croyais que t'avais un rendez-vous ? » Je me penchai en arrière pour regarder l'heure sur la grande horloge et m'en remis à Conrad avec un air amusé, mais tout de même pressé. « Bon écoute, ça me flatte que tu te sois bougé parce que tu peux plus te passer de moi mais j'étais sérieuse quand je disais que j'avais à faire ! D'ailleurs tu pourrais virer ta voiture ? Mon futur coloc va débarquer d'une seconde à l'autre et j'aimerais pas qu'il pense que c'est squat, tu vois ? »

Déjà que je n'étais pas la fille plus ravie du monde parce que Noah me laissait dans une mouise pas possible face à un inconnu complet pour aller batifoler en ville, mais si en plus Conrad s'y mettait en venant maintenant jusque chez moi, j'allais vite perdre patience. Jusqu'à ce que j'apprenne qu'il était le colocataire en question, celui choisi par mon adorable frère, bref, mon colocataire. Lui souriait toujours bêtement face à moi, à croire que voir mon air complètement hagard le rendait heureux ! « C'est une blague ? » J'étais d'un avis mitigé sur la nouvelle et ça ne trompait personne. D'un côté j'étais contente parce que je connaissais Conrad, qu'il était un ami et que par conséquent j'avais confiance en lui -du moins dans la limite du raisonnable. Ambiance détendue et en plus il s'entendait bien avec mon frère, de quoi me plaindre ? Ouais sauf que de l'autre côté, c'est Conrad et être pote avec lui, c'est pas la même que de vivre au quotidien avec lui. Voir sa tête le matin au réveil, au déjeuner dans la cuisine, avant de se coucher devant la télé... Et le pire c'est que, comme mon frère, c'est un aimant à fille. Et bordel, je veux pas que cette baraque devienne une maison close quoi ! Ni un dépotoir d'ailleurs. Je peux supporter que tout ne soit pas à sa place -je suis la première bordélique, j'avoue- mais pas la saleté, par pitié. « Tu veux dire que c'est toi le pote de mon frère ? J'ai dû louper un sacré épisode là ! » Je le détaillai de haut en bas, essayant de me faire à l'idée petit à petit. Je crois que j'arrive toujours pas à me rendre compte de l'énormité de la chose. Et Nono qui me disait de pas faire peur au nouveau ! Au moins sur ce point là y'a pas de risque, ce serait peut-être même l'inverse avec son sourire en coin de crétin heureux ! Je suis sûre qu'il jubile intérieurement.

Après un long moment d'inertie, je décide finalement de reprendre les choses en main. Disons qu'il fait beau mais qu'on va tout de même pas s'éterniser sur le pas de la porte. « Bon bah rentre et... fais comme chez toi. » dis-je à contre coeur. Ca faisait bizarre de dire ça à quelqu'un en sachant qu'il le ferait à coup sûr puisque c'était chez lui, mais encore plus de le lui dire à lui. Je me poussai et ouvris la porte en grand, reculant jusque dans l'entrée. « T'as pas d'affaires ? » demandai-je intriguée en regardant derrière lui. Nan, pas une seule valise. Si ça se trouve il se balade à poil en face ? Ah ça non, non NON ! Je me suis déjà assez battue pour que Noah arrête de se trimbaler en tenue d'Adam à tout bout de champs, c'était pas pour recommencer avec ce macaque, right ? « Je suppose que t'as déjà visité la maison avec Noah ? »

« Et sinon la modestie, tu connais ? » le taquinai-je enlevant les yeux au ciel. Je refermai la porte derrière lui et pris appui sur la petite commode placée en dessous du miroir dans l'entrée. C'est bizarre. J'ai du mal à me dire que désormais, c'est autant chez lui que chez moi. En fait c'est comme d'inviter un pote à la maison, sauf que le pote restera jusqu'à nouvel ordre, paiera un loyer et pourra par conséquent faire ce qu'il veut. Dans le fond, je suis plutôt contente que ce colocataire-mystère se révèle être Conrad. Rien que l'idée de me trouver au dessus de mon bol de céréales face à un parfait inconnu me donne des frissons et au moins je sais qu'avec ce macaque à mèche, les choses pourront s'avérer très drôles. Ou du moins moins glauque qu'avec un ou une colocataire trop intello sur les bords, rabat-joie au possible ou pire, adepte du yoga, de la méditation et fanatique absolu de la nature. Non je tiens le jackpot : un colocataire punk aux allures de gothique ? A m'imaginer tant de caractères différents, j'en venais à penser que Conrad tombait un peu comme le messie en fait. Normal au sens large du terme quoi.

Je fus sortie de ma torpeur par Conrad qui évoquait que ses affaires étaient gardées par son « bébé ». Je fis les gros yeux et tirai le petit rideau en dentelle entourant la porte pour me pencher par la fenêtre. J'étais persuadée d'y trouver une fille flanquée au volant de la voiture et attendant patiemment que môôôsieur bouge le petit doigt pour lui dire quoi faire. Au lieu de ça, la rue était déserte et la voiture aussi... La voiture, mais bien sûr ! « Ton... bébé ? T'as donné un surnom à ta voiture, mais je rêve ! » m'esclaffai-je, hilare d'apprendre ce petit détail qui pourrait me servir plus tard. Il devait être sacrément attaché à sa voiture. « Ouais bah quand t'auras plus la flemme, tu pourras toujours la rentrer dans le garage. Y'a pas de risque dans ce quartier normalement, mais on sait jamais que ton "bébé" prenne froid ou j'sais pas trop quoi. » Je réprimai un petit rire amusé, ne voulant pas le heurter mais toujours prête à le titiller malgré tout. Suivant à la lettre ce que je lui avais indiqué, il s'installa à ses aises sur le canapé avec un très large sourire destiné à me narguer. Je pris une grande respiration, répondant à mon tour par un sourire crispé. Il essaye de me pousser à bout ou c'est moi qui psychose ? « Ok, disons qu'aujourd'hui c'est le jour où je vais être hyper gentille pour te souhaiter la bienvenue, mais va pas penser que ce sera comme ça tout les jours, ok ? ...je te sers quelque chose à boire ? » Je me penche en avant et pose mes deux avants-bras sur le dossier du canapé, juste au dessus de Conrad et avec un sourire de petit ange. Profite donc jeune padawan, je réponds très bien aux mauvais coups et pour cause : j'ai été à bonne école, Noah pourra le confirmer.

Je pris un air faussement désolé devant la mine offusquée que me présentait Conrad. « T'inquiète, je lui apporterais un biberon chocolaté pour me faire pardonner ! » Mes lèvres s'étirèrent doucement en un sourire malicieux. Je venais de trouver une faille dans son orgueil et je comptais bien exploiter ce filon jusqu'au bout. Finalement je décidai d'arrêter de le taquiner un moment pour jouer les parfaites maîtresses de maison. Disons que c'était un petit cadeau de bienvenue. Il n'était pas un invité mais il venait d'arriver, et puisqu'on allait devoir cohabiter, autant le mettre à l'aise directement pour éviter les froids. Quoi qu'il n'ait pas réellement besoin d'être rassuré puisqu'il semblait déjà avoir adopté la maison et ses environs. Il fallait le voir affalé dans le canapé comme un pacha. S'il passait ses jours comme ça, prétextant avoir la flemme à tout bout de champs, ça allait clairement pas le faire. Avec un sourire courtois je me penchai par dessus le canapé et lui proposai quelque chose à boire. Je prenais sur moi, je connaissais bien Conrad et si Noah ne m'avait pas demandé d'être gentille et de ne pas jouer les tyrans, je l'aurais déjà poussé de MA place qu'il occupait sur le canapé, je me serais servie de son dos comme repose-pieds et je serais entrain de regarder un film sur le câble. Oui, je suis adorable. Et c'est d'ailleurs ce que j'aurais dû faire car sa réponse était à mille lieues de celle que j'attendais. Non seulement il me demandait de m'excuser pour le vent que je lui avais prétendument mis par texto, mais en plus il se permettait de jouer les voyeurs dans mon décolleté... mais pourquoi, ô grand pourquoi j'essaye de faire des efforts ? C'est Conrad quoi, on s'en fouuuu ! Pour simple réponse, je lui envoyai une petite claque à l'arrière de la tête pour lui remettre les idées en place et me redressai en prenant soin de remonter un peu mon tee-shirt. « T'es irrécupérable Kindsay, et en même temps tellement impressionnable... »
J'esquissai un léger sourire énigmatique et contournai le canapé pour finalement lui jeter un rapide regard en coin. « ...t'as pas encore vu mon pyjama. » J'haussai les sourcils, ma voix diminuant sur les derniers mots alors que j'haussais les sourcils, intéressée. Bah quoi, moi aussi j'ai le droit de jouer non ? Puis je le vis rire comme un idiot en tournant la tête. Je suivis son regard et découvris une photo encadrée nous mettant en scène Noah et moi devant deux gros gâteaux d'anniversaire pour nos dix ans. « Oui bon ça va, j'aimerais bien t'y voir au même âge ! Puis arrête de rire, on est trop craquants, tu veux juste pas l'avouer. » me défendis-je en croisant les bras, debout face à lui. « Et puis j'ai à m'excuser de rien du tout, c'est pas de ma faute si tu prends tout mal ! Alors c'est qui la grosse dinde ? »

« Ca te suffit pas de prendre toute la place sur le canapé, faut en plus de ça que tu veuilles briser l'intimité de mon sommeil ? Je RIGOLAIS Conrad, toi et tes yeux fourbes pouvez aller vous rhabiller parce que ce n'est en RIEN une invitation. » déclarai-je assez fière de moi dans un sourire triomphant. Ou du moins il pouvait toujours essayé mais je doutais que cette tentative du blond soit du goût de Noah. Au moins faut voir le bon côté des choses, tant que mon frère était dans les parages je ne risquais pas d'être la victime de l'un des plans foireux de mon nouveau colocataire. Mais en y réfléchissant bien... ils étaient potes non ? Bien, dès que Nono rentre va falloir que je cause un peu avec lui. J'assure mes arrières, bordel ! Puis Conrad réitéra cet affreux surnom qu'il m'avait donné, celle de l'habitante la plus disgracieuse et grasse de la basse-cour j'ai nommé... la dinde. A force de me le répéter je vais finir par mal le prendre, la comparaison avec un papillon ou un colombe aurait été plus délicate et surtout plus appropriée à mon état. Non..? « Je suis privée de câlins pour un petit sms tout pourri de rien du tout ? Ah bah merci, t'façon j'm'en fou ils sont nuls tes câlins et j'en ai pas besoin. » Je croisai les bras comme une enfant gâtée qui n'aurait pas eu la dernière babiole à la mode dans les cours de récréé et tournai la tête avec un air faussement dédaigneux.

Au moment où je me décidai à faire de nouveau face à Conrad, celui-ci s'était levé et se trouvait à quelque centimètres de moi. Je sursautai mais n'eut pas le temps de réagir qu'il m'avait déjà embarqué sur son épaule pour une balade dans la maison. « Lâââââââche-moi ! » Je me débattais, la tête en bas et les pieds en l'air à brasser l'air dans le vide. Puis je le vis s'approcher de la baie vitrée et la traverser pour se retrouver dans le patio... puis dans le jardin. Oh que non, il n'a pas intérêt à faire ça ! Je lui donnais des coups en essayant de le faire lâcher prise et réitérais mes menaces qui ne valaient pas un clou. J'allais même jusqu'à le supplier, mais où va le monde ? « Pitié, non, s'te plait pas la piscine ! Je viens de faire mon shampooing... Je suis allergique au chlore ! Je viens de manger un bol de céréales je vais faire un choc hydro-je-sais-pas-quoi... CONRAD KINDSAY ! » Plouf. Je sentis l'eau froide imbiber mes vêtements et m'engouffrer jusqu'au fond de la piscine. Lorsque je remontais à la surface, je replaçai mes cheveux trempés par un mouvement de la tête digne d'une publicité et passai mes deux mains sur mon visage pour y chasser les gouttes et y voir plus clair. « Je vais te tuer ! » Et malgré moi je riais en rejoignant le bord, jusqu'à ce que monsieur, délicat comme il l'était, ne décide de faire une remarque sur mon poids. Ce qui est sûr, c'est que celui-là avait pas été élu gentleman de l'année ! « J'y peux rien si t'as des bras rikiki et la force d'un ragondin empaillé ! » me défendis-je. Innocemment, je lui tendis la main pour qu'il m'aide à remonter et sortir de l'eau. Et naïvement, il se pencha et se saisit de ma main. Je levai les yeux vers lui, amusée parce que je savais qu'il venait de comprendre son erreur. « Tu vas voir, l'eau est bonne. » J'eus à peine le temps de lui chuchoter ces quelques mots que j'exerçai déjà une pression sur son bras pour l'attirer à son tour dans l'eau. Et alors qu'il remontait tranquillement à la surface, je me mis à nager tranquillement, enlevant au passage les tennis blanches que j'avais aux pieds. Tant qu'à faire, hein...

Je nageais pour rejoindre le bord et éviter ainsi une possible vengeance après l'avoir mis à l'eau. Mais je fus rapidement rattrapée par le blond dont la mèche ne ressemblait plus qu'à un gant de toilette trempé. J'éclatais de rire lorsqu'il m'encercla de ses bras. Impossible de m'enfuir c'est sûr, mais ce n'est pas pour autant que j'allais avoir peur de lui ! « Et maintenant tu fais quoi hein ? » Il avait un petit regard de défi, à croire qu'il attendrait presque que je fasse un premier pas ? « Eh Kindsay, c'est la maison qui est à louer, pas moi. » J'avais répondu exactement sur le même ton désinvolte et provocateur que le sien. Je passai une main trempée dans sa chevelure et la lui ébouriffai pour lui donner plus de volume en riant. « Tu peux t'habituer à regarder mes sous-vêtements, comme ça tu pourras bientôt faire mes machines à laver ! » plaisantai-je en lui envoyant une petite giclée d'eau. Il était vraiment irrécupérable comme gars, à croire que je lui plairais presque ? Ouais enfin, si ce n'était pas Conrad, THE homme à pouf, j'aurais pu y songer... mais non. « Arrête de loucher et enlève ton tee-shirt plutôt ! » Je le vis me regarder bizarrement alors que j'esquissais un nouveau rire amusé, m'accrochant au rebord alors que ses bras me collaient toujours à la paroi de la piscine. « Bah oui logique : tu te prives pas pour mater, à mon tour non ? » J'arquai un sourcil en essayant un peu de le provoquer. « ...à moins qu'il n'y ai rien à voir ? »