06 avril 2001, Zlynka, Russie.
Bon, alors... salut. Euh, mes parents ont eu la bonne idée de m'offrir ce... truc qu'on appelle un vocaphone je crois pour mon anniversaire, ils ont pas trouvés mieux on dirait et pourtant je sais qu'ils ont les moyens de m'acheter une ferrari, c'est ce que je voulais, mais eux, ils voulaient pas. Ils m'ont dit que je pouvais parler là-dedans et que je serais le seul à pouvoir écouter alors bon, j'essaye, ça coûte rien de toute façon. Ah oui, je m'appelle Isaak Gouskov, je viens d'avoir dix ans aujourd'hui, j'ai un grand frère qui a treize ans et j'habite à Zlynka, c'est en Russie. A mon anniversaire, y avait mes copains et mon frère, mais y avait aussi Karina. Je l'aime bien, on est resté à la balançoire, on fait toujours ça, on s'amuse bien comme ça. Bon, je dois bien avouer que j'ai pas eu que ça comme cadeau hein. En fait, j'ai eu plusieurs trucs cool, mes parents m'ont offert un mp3, c'est trop bien, parce que j'aime beaucoup la musique, même que j'ai un banjo dans ma chambre et j'arrive à en jouer un peu, mais mon frère dit que je joue mal, il m'énerve cet abruti.

26 juin 2006, Barcelone, Espagne.
Salut. Enfin... je sais toujours pas s'il faut que je dise bonjour quand je vais parler à mon cher vocaphone, mais tant pis, ça fait plus polie, bref. J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, je vais commencer par la bonne. Je suis en ce moment même à Barcelone et il fait clairement plus chaud ici qu'en Russie et puis les gens sont plus sympa, toujours le coeur à rire, j'adore ça. On est arrivé hier, mais j'ai l'impression d'y être né. Hier soir, dès notre arrivée, nos voisins nous ont préparés une tortilla je crois, c'est une spécialité espagnole apparemment et c'est super bon. La mauvaise nouvelle, c'est que j'ai laissé Karina en plan et je m'en veux. Normalement, je devrais la revoir dans un an à peu près, si on est en Espagne c'est parce que mon père à un truc à faire ici pour son boulot, il gère des grosses entreprises, dont une toute nouvelle à Barcelone. C'est fou, Karina me manque déjà, j'aimerais qu'elle soit là, avec moi pour qu'on puisse parler et rire encore et encore. J'espère juste qu'elle ne va pas m'oublier, sinon je ne m'en remettrais pas.

30 février 2007, Zlynka, Russie.
Rebonjour la Russie. Voilà, je suis rentré d'Espagne, j'en avais franchement pas envie, mais c'est comme ça. En un an, j'ai eu le temps de me faire pas mal d'amis là-bas, je sais que je les reverrais, je retournerais retournerais à Barcelone. Je suis rentré hier soir et aujourd'hui, j'ai revu Karina, bon sang ce qu'elle m'a manqué. Mais elle a changée, elle n'est plus la même et ça me fait peur. Elle est triste, ne parle plus vraiment, mais bizarrement, je la comprends quand même. Elle est comme... morte. Brr, rien que de dire ça, j'en ai des frissons. Je comprends le fait qu'elle ait pu perdre sa joie de vivre, après tout, elle a une sale chienne de vie. Entre sa mère décédée et son père qui la bat. Putain, si seulement je pouvais aller lui casser la gueule à ce mec. Maintenant, elle joue du saxo, elle se débrouille pas mal. En fait, on voit qu'elle vit le truc, c'est son moyen de s'évader, c'est beau et triste à la fois. Un jour je l'accompagnerais à la guitare ou au banjo et peut-être même au chant... enfin peut-être. J'aimerais juste qu'elle redevienne la Karina d'avant, celle avec qui je faisais de la balançoire.

08 décembre 2008, Zlynka, Russie.
Mon frère est... putain. Ça fait six mois que j'ai pas parlé dans ce truc, six mois que mon frère... non. J'y arriverai pas. Ok, respire, Isaak. On va tout reprendre du début. Je m'appelle Isaak Goustov, j'ai dix sept ans, mes parents sont exténués, je suis exténué, ma famille tout entière l'est. Même Karina l'est pour moi. Trop de personnes meurent si vous voulez mon avis. Trop de bonnes personnes, du moins. Les connards par contre, eux ils meurent jamais, ils tuent, mais ils ne se font pas tuer. Si j'en avais le courage, je retrouverai le sale chien qui à... tué mon frère. Alors voilà, je vais poser mon vocaphone, j'ai un couteau dans ma chambre, tant mieux, ça m'évitera d'aller dans la cuisine. C'est peut-être égoïste, mais j'ai plus mon frère, ma moitié. J'ai pas envie de vivre sans lui, parce qu'il est tout pour moi, je refuse de parler de lui au passé, parce qu'il n'est pas parti. Il est toujours là. A la personne qui trouvera mon vocaphone, dites que je suis désolé. Désolé papa et maman, Karina et mes amis. Je vous aime, mais là, c'est plus possible. Ça fait six mois que je lutte contre la peine, la peur et la tristesse et j'en peux plus, c'est tout. Il est vingt-trois heures vingt et j'ai le couteau en main, j'ai déjà essayé de me couper les veines, ça fait mal, mais on s'y fait.

19 mai 2010, Nouvelle-Orléans, USA.
Wow, ça fait un bail que j'ai pas parlé. En même temps, j'avais plus de piles et il s'est passé des tas de choses. Le père de Karina est mort, je crois qu'elle ne s'en plaint pas trop. Elle est redevenue la Karina de mon enfance, c'est comme si elle s'était libérée d'un poids, magie. Enfin bref, en tout cas, elle en a eu marre de la Russie et de sa maison, ce qui était compréhensible. Résultat, elle et moi on est parti en Nouvelle-Orléans, c'est super beau, tout paraît tellement bien ici ! Quand elle m'a dit qu'elle comptait partir de Zlynka, il était carrément impossible pour moi de ne pas la suivre. Après tout, je suis parti une fois sans elle et il m'avait semblé avoir oublié une partie de moi-même, alors là, il était hors de question que je ne vienne pas avec elle. Et puis c'est pour moi l'occasion rêvée de rencontrer de nouvelles personnes, je suis vraiment content d'être en Nouvelle-Orléans. Depuis qu'on est ici, on fait la fête et puis... et puis voilà en fait. On est jeune et on en profite. Je me sens vraiment bien avec elle, c'est fou, ensemble, on se permet toutes les folies : plus de contraintes. On a enfin réalisé notre rêve : partir de la Russie et c'est tout simplement magique, j'adore et j’adhère. Deux russes en Louisiane, c'est pas la classe, ça ?

30 mars 2011, La Havane, Cuba.
Et voilà, ce qui devait arriver, arriva. J'suis qu'un con qui ne peut pas se retenir de boire en soirée. Généralement, je bois pas... sauf en soirée, ok. Mais là, j'ai abusé et Karina aussi. Karina... Il y a deux jours, c'était son anniversaire, la soirée a été des plus belles, du début jusqu'à la fin. Sauf que le matin... bon ok, j'ai couché avec Karina, je m'y attendais pas et je suis parti illico de la Nouvelle-Orléans pour m'échapper de ce cauchemar. Je suis donc en direct live de La Havane, c'est beau, il fait chaud, je suis sur la plage, y a des jolies filles, bref, c'est le paradis. Je suis écœuré de ce qu'on a fait avec Karina. Je suis parti comme un malpropre en plus, ça craint. Mais je voulais partir, peut-être parce que je suis en manque de voyage ou alors parce que j'ai juste eu peur que notre relation ne soit plus jamais comme avant. Fait chier. Karina, si tu savais à quel point je suis désolé, ne m'en veux pas. Je t'aime.

29 janvier 2012, Nouméa, Nouvelle-Calédonie.
Ma vie est ce que j'ai toujours voulu qu'elle soit. Je voyage encore et encore, sans jamais m'arrêter. Ça fait aujourd'hui pile deux mois que je suis parti de Nonthaburi qui se trouve en Thaïlande pour venir m'installer à Nouméa, la belle vie pas vrai ? Merci papa, merci maman, j'vous aime. Ouais parce que c'est quand même grâce à eux si je peux partir où je veux, quand je veux. Il y a quelques jours, j'ai fait une belle rencontre. Un type qui me rappelle mon frère. Il est adorable et surtout, il est déconneur. En fait, on se ressemble, il aime la musique, il adore voyager, il ne se prend pas la tête et tout ça, comme moi quoi. Je sens que lui et moi on va bien s'entendre, autant, on voyagera ensemble après, ça serait cool, j'aimerais bien moi en tout cas. Bon après, s'il veut pas, je ferais tout pour lui faire dire oui, parce que voyager c'est bien, mais à deux, c'est mieux. Bon sur ce, j'y vais là, parce qu'il m'attend justement. On va faire la fête, ça va être cool.

13 mars 2013, Nouvelle-Orléans, USA.
Je déteste cette ville. Enfin, je la déteste dans un sens. Elle me rappelle de mauvais souvenirs, mais je l'aime bien, parce que c'est une jolie ville. Bon, Nouméa c'est beaucoup mieux, mais j'ai pas eu le choix. Karina m'a appelée, quand j'ai reçu son appel, j'ai cru que mon coeur allait lâcher, ça m'a fait comme un électrochoc. Elle attend un bébé... de moi. Je vais mourir. A l'aide. Non, plus sérieusement, je suis bien trop jeune pour avoir un enfant, j'ai peur là. Peur de la revoir et de voir son ventre. Peut-être qu'elle me fait une blague, mais elle avait l'air sérieuse au téléphone. Mais pourquoi moi, putain ? J'ai dû partir, abandonnant Lawson, mon pote que j'ai rencontré en Nouvelle-Calédonie. Il me manque déjà, c'est horrible. J'espère qu'on se reverra, qu'il va se ramener un jour ici, vu qu'il n'est encore jamais allé en Louisiane, ça serait bien. Bon, aujourd'hui c'est le grand jour, celui où je vais revoir Karina. Elle va sûrement me baffer, mais ça serait compréhensible. Je me languis de la voir, de lui parler. Bien que je sois parti comme un voleur, elle est toujours restée dans mon coeur. Bon, Nouvelle-Orléans, me revoilà.