28 Mars 1995※ Zlynka, Russie, vu par Lisaine Strugatsky (mère)

Je crois que jamais je n'avais été aussi heureuse que pendant ces cinq dernières années de toute ma vie. En fait, je ne le crois pas, j'en suis absolument certaine. J'avais mis au monde une petite fille malgré ma maladie et les dires de mon médecin, lui qui m'avait répété et répété que je ne pouvais pas espérer avoir d'enfant biologique. Mais c'était quand même arrivé.
Aujourd'hui, ma petite fille a cinq ans, et je suis la plus heureuse des mamans. C'est le jour de son anniversaire. Elle n'a pas invité beaucoup d'amies, mais les rares qui sont présentes sont les meilleures dont j'aurais pu rêver pour elle. Elle vient d'ouvrir ses cadeaux : un saxophone miniature pour poser sur son étagère, une compilation des meilleurs morceaux de Ray Charles, un ours en plus qui ressemble à Louis Armstrong et un livre de partition pour commencer l'apprentissage du saxophone. Je viens de couper le gâteau et m'active pour aller chercher une bouteille de jus d'orange quand on sonne à la porte. Je chante "J'arriiiive !" avant de me précipiter vers la porte pour l'ouvrir, mon tablier blanc noué autour de la taille.
Du salon, on entend un grand "BANG !", puis un "BOUM !", et enfin des bruits de pas qui s'éloignent.
Mon tablier se teint de rouge. Mes yeux sont grands ouverts, vitreux.
Je suis morte.


2 septembre 2006 ※ Lycée Municipal de Zlynka, Russie, vu par Nikolai Andropov (camarade de classe)

Comme à mon habitude, par un jour de rentrée, je suis devant le portail du lycée, en attendant que mes potes sortent de leur rendez-vous avec la psychologue scolaire. Mon nom de famille commençant par un A, je passe toujours dans les premiers. Et je le don de me trouver des potes dont le nom de familles sont genre, en S grand minimum. Une année, j'étais dans un classe de 40 élèves, et mon meilleur ami s'appellait Zaslavski. Dommage hein ?
Je me les gelais dehors, donc, en train de regarder partout ou je pouvais, quand je la vis sortir du lycée. Une fille assez petite, mince, assez bien gaulée si vous voulez mon avis. Son visage était caché par des tas de cheveux noirs, mais plus on s'approchait des racines, plus ils étaient blonds. Ça rendait vachement bien. Elle portait un bonnet, une écharpe, des gans, une grosse veste avec une capuche doublée en fourrure, et un sac de cours à bandoulière, aussi noire que ses cheveux. En mode je me cache, la fille.
J'entend un coup de Klaxon derrière moi. Un mec mal rasé, avec des cheveux mi long lui fait signe de venir. Elle passe devant moi en courant, et relève la tête quand je tousse, sans le faire exprès, vous vous en doutez. Elle a la peau pâle, et des grands yeux bleus, troublants, magnifique. Elle me fixe dix secondes, l'air effrayé. Je lui souris. Elle détale.
Je l'aime déjà.

15 avril 2006 ※ Zlynka, Russie, vu par Edvard Mendeleïev (agent de police)

23h30. Le téléphone sonne. Encore. Je soupire, et décroche le combiné. « Commissariat de Zlynka, Capitaine Mendeleïev, en quoi puis-je vous aider ? » « Allo... » Je me redresse sur mon siège, alerter par la voix qui vient de sortir du haut-parleur. Une jeune fille, apeurée, fatiguée, faible. « Jeune fille, que t'arrive-t-il ? » « C'est mon père... » « Il a eu un accident ? On lui a tiré dessus ? Il est mort ? » « Non, rien de tout ça. Il m'a fait du mal. » « Il t'a frappée ? Au visage, sur le corps ? Pire que ça encore ? » « Oui monsieur. Il m'a... » Elle se met à pleurer. Je crois comprendre ce qu'il se passe. Je peux comprendre qu'elle n'arrive pas à le dire. En fait, moi non plus. « Seul ? » « Non. Avec mon oncle. Monsieur je vous en prie, venez. J'ai mal. »

19 novembre 2006 ※ Cimetière de Zlynka, Russie, vu par Vladimir Ivolguine (prêtre)

Assez étrange, cet enterrement. Il n'y avait que des hommes à l'allure étrange, assez inquiétants. Il y avait deux femmes, aussi. Une âgée, peut-être avait-elle quatre vingts-ans. Elle pleurait à chaudes larmes et ne faisait que se moucher dans un vieux bout de tissus fleuri. Il y en avait une plus jeune, peut-être avait-elle seize ans. Elle était habillée en blanc, et portait une rose blanche dans la main. Je venais de finir de lire un des versets qu'on m'avait demandé, et les gens présents se suivaient pour mettre quelque chose sur le cercueil de leur défunt ami, cousin, oncle, frère. La jeune fille vint la dernière. Elle arriva devant la fosse, sourit jusqu'aux oreilles, et cracha. Quand à la rose, elle la glissa dans ses cheveux. Je vais vers elle, profondément outré. « Mademoiselle, comment osez-vous ! » Elle perd son sourire, se retroune, lève son haut pour me montrer son dos. On y trouve une grande plaie, pas encore cicatrisée, encore rouge autour à cause du sang qui a tâché. Elle baisse son haut, me fait face de nouveau. « A moi de vous poser une question. Comment a-t-il osé ? »

29 mars 2013 ※ Nouvelle Orléans, Louisiane, USA vu par Lisaine Strugatsky en personne

J'ouvre les yeux. Ouuuh, mal de crâne affreux, goût immonde dans la bouche. Je ne me rappelle rien de ce qu'il s'est passé après ma troisième vodka. Une phrase résonne dans ma tête. "Eh, la russe ! Montre nous comment on boit de la vodka ! Encore une fois, on n'a pas vu ! " Et caetera, et caetera. Je crois qu'ils se foutaient de ma gueule, les cons. A cause d'eux, j'ai fini complètement bourrée et j'ai un vieux trou noir dans mon cerveau. Ca fait deux fois que ça me fait le coup en moins d'un mois. On se croirait dans Un Jour Sans Fin. Même si quelques détails prouvent que ce n'est pas le cas.
Par exemple, cette fois, je ne suis pas totalement nue et enroulée dans les bras de mon meilleur ami.
Et puis, dans deux semaines, je n'apprendrai pas ma grossesse.